Varie
CRITICA:
Filmé dans l’immédiateté durant un hiver triste et froid d’un quartier pauvre de Montréal, L’amour au temps de la guerre civile s’offre en porte-parole aux laissés pour compte de notre société. Évoluant à la frontière de la fiction et du réel, cette œuvre brutale ne transforme pas pour autant ses protagonistes en martyrs et possède des moments d’une touchante sincérité.
Il y a sept ans déjà, le documentaire Hommes à louer, marquait les esprits en exposant la dure réalité des hommes prostitués du quartier Centre-Sud de Montréal. Faisant preuve d’une authenticité rare, L’amour au temps de la guerre civile est une suite logique à ces hommes à louer mais aussi à l’imposant travail auquel son auteur et ses nombreux collaborateurs se sont attachés depuis plusieurs années afin de donner une voix et une existence à ces laissés pour compte.
De ces Hommes à louer, et de toutes celles du projet épopée.me, dont L’état du moment (2011) et L’État du monde (2012) , on retrouve ici plusieurs composantes. Mais ce dernier volet d’un projet collectif percutant et fortement dérangeant n’est pas un documentaire, mais bien une fiction avec une intrigue fictive écrite par Ron Ladd (deux jeunes toxicos se prostituent pour trouver l’argent de leur dépendance et de leur survie commune) et des comédiens, Alexandre Landry (Gabrielle) et Jean-Simon Leduc (que l’on verra en avril dans Corbo de Mathieu Denis) entre autres.
Mais si cet imaginaire est bien présent, il ne revêt pas pour autant les atours d’une pure fiction. Absence de musique, traitement minimal de l’image, dialogues peu préparés car fournis au jour le jour aux comédiens, tout cela concoure à donner au film la force viscérale nécessaire pour traiter d’un sujet si fort. Nous voilà bien dans une brutalité des mots et des images, directe et sans fard, à plusieurs lieues du cinéma d’auteur québécois traditionnel. En ne peaufinant pas son « emballage », Rodrigue Jean ne cherche donc pas à rendre son film attirant. De même qu’il ne transforme pas ses protagonistes en êtres refoulés ou en victimes impuissantes d’un système dévorant. Au contraire, il s’attarde à montrer des personnes adultes menant un combat de tous les instants pour tenter de vivre dans une sorte leur propre normalité, aussi relative soit-elle. Se nourrir, se loger décemment et essayer de vivre une relation de couple basée sur la confiance mutuelle, comme le titre du film nous l’indique d’ailleurs. Des préoccupations somme toute communes à tout un chacun, et dans lesquelles nous nous retrouvons. L’amour au temps de la guerre civile nous rapproche de ces travailleurs du sexe en nous les montrant, non comme des êtres dévoyés, mais comme des personnes devant contrer des dépendances, au même titre que nous sommes dépendants de l’internet, des séries télé ou de nos cellulaires.
Au final, malgré la difficulté d’approche de sa thématique, Rodrigue Jean, faisant abstraction du pathos de ses personnages, sait faire preuve de sensibilité, voire même d’une certaine retenue. Il les connaît trop bien pour verser dans le sensationnalisme. Ce serait leur manquer de respect.
Comme dans tout le cinéma de Rodrigue Jean, en dehors peut-être de Lost Song, plus traditionnel, L’amour au temps de la guerre civile n’est pas fait pour être aimé. Le film fait mal, en plus de bousculer les préjugés en faisant écho à une réalité que l’on voudrait bien laisser de côté. Déchirant et déstabilisant, voilà un film à ne pas manquer, signe tangible d’une œuvre peu médiatisée, signée par un cinéaste-citoyen passé maître dans l’art de forcer de la plus juste des manières une confrontation directe avec nos propres démons. VOTO: 4/5 (Charles-Henri Ramond, filmquebec.com)
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Les troupes, c’est Alex et les autres jeunes marginalisés qui entrent et sortent de sa vie. Le champ de bataille, c’est le quartier Centre-Sud de Montréal, zone urbaine où aisance et misère se côtoient quotidiennement aux yeux de tous. Leur combat est ardu et perpétuel. Un combat contre eux-mêmes, contre leurs compulsions et, par la même entremise, un combat contre une société froide et mécanique. Une société indifférente où ces jeunes combattants, martyrs d’un des deux extrêmes économiques obligatoires d’un monde capitaliste comme le nôtre, se soumettent à la frénésie d’une consommation effrénée. Consommation de substances, consommation des corps et des âmes, consommation d’espoir et de désespoir. Livrés à eux-mêmes et à la rue, ils sont prisonniers d’un système qui les conduit inéluctablement vers cette destination accablante.
Portrait à la fois sobre et extrêmement difficile d’une réalité sociale qui nous entoure, L’AMOUR AU TEMPS DE LA GUERRE CIVILE a pour but premier de nous re-sensibiliser, par sa force de frappe implacable, au quotidien affligeant de gens défavorisés qui, bien trop souvent, croisent notre chemin sans qu’on leur prête attention. Toxicomanes, prostitués, sans domicile fixe, ces jeunes personnages filmés par Rodrigue Jean nous semblent tout simplement plus vrais que nature. Le cinéaste, qui depuis plusieurs années pivote entre fiction et documentaire, nous présente cette fois-ci une œuvre qui semble définitivement vouloir brouiller les pistes entre les deux formes; on a droit à un traitement visuel nerveux, claustrophobe presque, qui nous propulse dans l’immédiat des expériences des personnages par des gros plans à l’épaule. Tous comme eux, nous sommes constamment concentrés sur l’instant présent, que cela soit sur l’extase éphémère d’une intoxication psychotrope ou l’intensité d’un contact sexuel, parfois intime, parfois violent.
Ce naturalisme poignant évoque entre autres le ROSETTA des frères Dardenne, film social tout aussi puissant dont la mise en scène, les Dardenne l’ont aussi déjà mentionné, n’est pas si différente de celle d’un film de guerre. L’enfer montréalais présenté à l’écran n’est pas reclus ou imaginaire mais plutôt reconnaissable, tangible. Le scénario et l’image s’assurent, tout au long du film, de préciser la situation géographique des personnages dans leurs différentes actions et donc, de cette manière, nous font continuellement prendre conscience de l’immense fossé économique et social qui existe même dans les endroits les plus fréquentés de la métropole. Le coin René-Lévesque/Berri, par exemple, constitue le premier extérieur du film.
Bien sûr, pour ceux qui ont suivi de près la carrière de Rodrigue Jean depuis son dernier long-métrage de fiction, LOST SONG, en 2008, ce nouveau film, quoiqu’assurément exceptionnel par sa qualité, s’inscrit tout de même dans une démarche créatrice logique qui s’apparente à ses derniers projets. Depuis HOMMES À LOUER, documentaire qui rassemble les témoignages déchirants de jeunes travailleurs du sexe de Montréal, Jean n’a cessé de poser sa caméra sur les indignés de notre société, que cela soit avec INSURGENCE, objet cinématographique percutant sur le mouvement de manifestation du printemps érable, ou avec ses capsules web sur Epopee.me, assemblage de récits véridiques et fictifs de citoyens exclus du centre-ville. À bien y repenser, il ne s’agit pas vraiment de « sa » caméra puisque le cinéaste, depuis 2008, tente de s’effacer de plus en plus des projets auquel il participe; c’est justement en filmant HOMMES À LOUER qu’il remanie sa démarche et s’appuie davantage sur l’idée de collectif. INSURGENCE est non pas signé « Rodrigue Jean » mais bien « Groupe d’action en cinéma Épopée ». Les chroniques internet Épopée, de par leur mode de diffusion, détournent notre attention du « créateur » vers les sujets eux-mêmes (un peu comme « Gaza Sderot », par exemple, mini-épisodes web qui dépeignent le quotidien des citoyens impliqués dans le conflit israélo-palestinien). Dans le cas de L’AMOUR AU TEMPS DE LA GUERRE CIVILE, présenté au Festival du nouveau cinéma, le cinéaste a choisi de s’absenter pour la séance de questions et réponses habituelle et a laissé la parole à ses comédiens, véritables porte-paroles du film. Ces jeunes acteurs, qui se sont littéralement livrés corps et âme pour ce projet, contribuent grandement au tour de force majeur du produit final.
Dans la même mesure qu’INSURGENCE déferle scène après scène après scène de nihilisme social, L’AMOUR AU TEMPS DE LA GUERRE CIVILE est doté d’une trame narrative étouffante qui pourrait sembler laborieusement redondante pour certains. Cependant, cette répétition chez les actions des personnages, présentée comme véritable série de rituels (la préparation de la drogue, notamment), nous fait réaliser à quel point le cercle vicieux de leur dépendance demeure sans fin, sans issue. À quoi bon nous fournir une progression narrative conventionnelle lorsqu’on nous parle d’individus dont l’existence est figée dans le temps? Alors qu’un film avec un tel sujet aurait trop facilement pu tomber dans le sensationnalisme, le nouveau film de Rodrigue Jean s’assure de nous ramener sur terre et de nous montrer que l’existence de ces âmes vagabondes n’a rien d’excitant. Si d’autres films se consacrent à faire ressentir à leur spectateur le sentiment d’exaltation du sexe et de la drogue, L’AMOUR AU TEMPS DE LA GUERRE CIVILE nous projette bien plus loin dans le processus de dépendance : la consommation ne relève plus d’un plaisir mais bien d’une nécessité. Elle est à la fois une échappatoire et une prison.
Éprouvant et douloureux, le film nous expose tout de même à quelques moments d’échanges humains brûlants d’affection et d’intimité. Alex et son amant Bruno, par exemple, sont rapidement ramenés l’un vers l’autre même après des moments de dispute. Cependant, la scène finale, où le personnage principal, dans un moment frénétique de détresse émotionnelle, se retrouve au milieu d’une manifestation étudiante qui tourne mal dans le quartier des spectacles, remet tout le film en perspective et y ajoute une dimension ouvertement politique (concrétisant davantage la « guerre civile » du titre). Le spectateur se rend bien compte, au final, que cette vague de soulèvement populaire contre l’état qui a récemment marqué le Québec n’a rien avoir avec de simples caprices étudiants. Il s’agit là plutôt d’un véritable cri du peuple envers non pas « une » inégalité sociale mais bien toutes les inégalités sociales, une dénonciation de tout ce qui ne fonctionne pas dans notre société actuelle, et un fervent désir que, ne serait-ce que pour un moment, l’intégralité de notre peuple s’en aperçoive. C’est un peu, après tout, ce que le cinéma de Rodrigue Jean exige : prendre conscience de l’état du moment et, ultimement, nous sortir de notre confort et de notre indifférence. VOTO: 4,5/5 (Benjamin Pelletier, pointdevues.net)
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Un jeune toxicomane déambule dans Montréal. Entre sa continuelle quête de substances illicites et ses rencontres amoureuses, une heureuse issue semble impossible.
La nouvelle œuvre du réalisateur Rodrigue Jean (Lost Song, Hommes à Louer) déroute à plusieurs niveaux. Il y a d’abord ces scènes qui en repoussant les limites de la fiction vers le documentaire pourront en choquer quelques-uns. Il y a également une lenteur, un souci de précision, une répétition des gestes qui pourrait finir par lasser. En effet, le réalisateur propose (durant près de deux heures) le portrait d’un jeune homme en manque constant. Interprété avec sobriété par Alexandre Landry (Gabrielle), ce jeune adulte en mal de vivre n’a pour seul but que d’être sous influence.
Par moments, il est difficile de voir une progression au récit et on finira par se demander ce que le réalisateur cherche à démontrer avec ce film. Ses personnages font du surplace et semblent totalement coupés du monde. La mise en scène ajoute au sentiment de détachement qui habite le film. Les artisans restent en retrait et une certaine sobriété (sans doutes recherchée) émane de l’ensemble. De plus, toute la place est laissée aux personnages, comme abandonnés à eux-mêmes, sorte d’électrons libres qui n’ont que faire des conventions narratives.
Si l’on tolère que les personnages n’avancent pas (ils ne régressent pas non plus), L’amour au temps de la guerre civile pourra être vu comme une ode à la fois belle et cruelle de la solitude. S’il y a bien un combat qui est mené tout au long du film (on passera outre les manifestations étudiantes de 2012), c’est bien cette guerre que mène le personnage principal avec lui-même. Autant il cherche à se droguer, autant il recherche le contact humain en tentant de se greffer à ceux qui croisent sa route. Hélas pour lui (et un peu pour nous), ce n’est pas une guerre qui est gagnée d’avance. (Miryam Charles, cineflic.com)
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